C'était le genre de soirée que tout le monde faisait semblant d'aimer; autant de mensonges que de faux sourires embaumaient l'air de leur parfum d'hypocrisie. Devant le regard stoïque de Lysander, les gens mimaient à la perfection l'amusement ou l'ébahissement, panel de sentiments que ne ressentaient plus guère ses pairs. On complimentait les sorcières pour leurs parures hors de prix, les sorciers pour leurs dernières performances en matière de traque à l'insurgé. Selwyn se mouvait avec grâce entre les convives pour les saluer poliment, leur offrant parfois quelque compliment qu'on lui rendait. Pourquoi fallait-il que l'entente entre les Sang-Pur soient basée sur … Rien ? Le vide, le néant, voilà à quoi ressemblait leurs belles alliances. S'il y avait une chose dont Lysander était sûr, c'était qu'une fois qu'il serait à la tête du clan Selwyn, les choses changeraient. Bien que ce monde-là fusse le sien, son coeur était perdu dans les méandres d'une solitude indéfinissable et éternelle. Mais en attendant, lui aussi savait jouer les hypocrites de première. « Quel plaisir de vous voir, Madame. Je vous remercie profondément pour votre invitation qui m'a beaucoup touché. Où est votre époux ? » Un baise-main, quelques flatteries savamment orchestrées et le tour était joué. Avec ses yeux d'un bleu céruléen, son sourire à la fois mystérieux et respectueux et ses cheveux en bataille blonds aux reflets cuivrés, Lysander savait exactement comment manipuler les autres; sa gueule d'ange y était pour beaucoup. Il avait appris à se servir de ses atouts, et même s'il considérait celui-ci comme une superficialité sans précédent, il devait bien avouer que ça lui sauvait parfois la vie. Lys laissa donc Madame pour fendre la foule et aller saluer Monsieur, dont la conversation avec un homme haut placé du Ministère venait de prendre fin. « Mr Selwyn, je suis ravi que vous ayez trouvé le temps de venir ! Entre votre travail que l'on dit prenant et vos fiançailles … Vous devez être très occupé. » Le jeune héritier baissa les yeux d'un air faussement modeste. Faux, encore, toujours, continuellement. « En effet Monsieur, mais il aurait été bien malpoli de refuser une telle invitation. Je n'aurais manqué cela pour rien au monde ! » L'hôte parut satisfait de la réponse, ce qui permit à Lysander de s'éclipser sans trop de difficulté. De nouveau, il vaqua parmi les invités et leurs reluisants apparats, sans but particulier. Il s'était attendu à croiser son père, Charles, ou même Yselia Rosier. Apparemment, ces derniers n'avaient pas poussé le vice jusqu'à venir, ce qui l'agaçait quelque peu. D'un autre côté, ça lui laissait encore un peu de répit avant de devoir s'afficher au bras de sa future compagne, que peu de gens lui savaient fiancée. Le regard gris de Lysander s'attarda sur un groupe de rebuts qui discutaient à voix basse dans un coin de la pièce; n'était-il pas totalement irresponsable de les laisser ainsi discuter, alors même qu'ils pouvaient fomenter des plans contre leurs maîtres, tous ensemble ? Heureusement, Hannah ne faisait pas partie d'eux. Restée au Manoir, comme d'habitude. Selwyn ne s'embarrassait pas d'elle en public, elle avait le don inégalable de l'humilier et le faire passer pour un incapable. Il but quelques gorgées de ce délicieux alcool qu'on venait de lui servir en les observant avec une attention toute particulière. En remarquant l'intérêt qu'il leur portait, les rebuts se figèrent et se turent, avant de se disperser. Un sourire amusé étira ses lèvres charnues. Et puis le temps passa, et Lysander trouva la compagnie plus appréciable d'êtres qui ne lui étaient pas totalement hostile. Ainsi put-il appréhender la soirée avec moins de retenue et d'amertume qu'à son commencement. Après tout, c'était bien là son univers et Selwyn ne l'aurait changé pour rien au monde. Il vivait de luxe, de sang et de décadence. Il avait beau s'en plaindre et trouver son existence écœurante, jamais il n'en changerait. Lysander était né Roi, il mourrait Roi. Vint alors un moment où l'atmosphère de la pièce lui sembla particulièrement étouffante, lui qui était habitué à la fraîcheur des cachots de la maison Serpentard, aux sous-sols les plus enfouis du Département des Mystères, au Manoir Selwyn, aux rudes neiges et vents de la Russie profonde découverte aux côtés des Dolohov. Lysander saturait rapidement des foules et du bruit, trouvant parfaitement son compte dans le calme de sa demeure. Paradoxe éternel de son être et de son âme. Profitant d'une légère accalmie et d'un désintérêt de ses nouveaux compagnons d'infortune pour sa personne, ses pas le guidèrent jusqu'au balcon. Il referma les portes derrière lui, et s'imprégna de l'air froid de cette soirée étoilée. Lys inspira une grande bouffée d'oxygène, avança jusqu'à la rambarde de fer forgée sur laquelle il s'accouda, et observa en silence le paysage qui s'étendait sous ses yeux glacials. C'était exactement ce qu'il lui fallait. Ce sentiment d'éternité, ce silence grisant. Ca lui rappelait sa vie. Un petit rire amer passa la barrière de ses lèvres, tandis qu'un bruit dans son dos attirait son attention. Lysander se retourna et dévisagea le jeune homme qui se tenait devant lui. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'il s'agissait d'un rebut; sa tenue n'avait rien d'élégant, en comparaison avec les riches et luxueuses étoffes que portaient les convives ce soir. Selwyn pouvait-il partager le balcon avec un rebut ? Une mimique de dégoût feint et de provocation se dessina sur son visage. « Qui es-tu pour venir troubler la quiétude de l'instant ? » Ses yeux glissèrent le long de son corps, s'imprégnèrent des traits marqués de son visage et de ses boucles brunes sous l'éclat de la lune. «  Tu dois être le rebut de ma chère cousine, Lucrezia Rowle ? Il me semble t'avoir vu en sa compagnie. » Lysander avait malheureusement trop insisté sur le terme « cher », fausse note d'une tirade qui se voulait calme et impassible. Il avait de plus en plus de mal à cacher l'amertume qu'il ressentait à l'égard de cette femme, qui osait le dénigrer, lui, Lysander Selwyn. Dieu qu'il pouvait la haïr ! Par conséquent, il détestait son rebut aussi. C'était décidé. «  Quel est ton nom, rebut ? Si par malheur nous devons partager ce balcon le temps de quelques minutes, je n'ai guère envie de t'appeler par ton rang. » A ces mots, il lui tourna le dos pour s'intéresser de nouveau au paysage.